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« A la croisée des mondes » : Une trilogie qui dérange…

Novembre 2007 : A quelques jours de la sortie mondiale de « Golden Compass » (« A la croisée des Mondes, La boussole d’or » en français), il semblerait que cette adaptation de la célèbre trilogie de Philip Pullman soulève de nombreuses questions, voire de sérieuses inquiétudes de la part des familles… Produit par la Cie New Line Cinema (producteur du « Seigneur des Anneaux »), le premier film raconte le tome 1 de la trilogie : « Les royaumes du Nord ». Il est dirigé par Chris Wetz (qui s’est d’ailleurs retiré du projet dont il a écrit le scénario, à la suite de nombreuses réactions sur l’attaque dont l’Eglise fait l’objet, puis est finalement revenu). Une distribution exceptionnelle assure déjà un large public : Nicole Kidman, Daniel Craig (Casino Royal) et Eva Green, le rôle de Lyra est joué par une inconnue (Dakota Blue Richards). Bref, Il s’agit donc d’une « super production » de qualité, gros budget et effets spéciaux spectaculaires pour un maximum de succès. Sur le fond, qu’en est-il exactement ? Y a-t-il dans ce film une attaque réelle contre l’Eglise ?

En fait, la polémique existe depuis la sortie des livres, publiés entre 1995 et 2002, et la trilogie, vendue à 14 millions d’exemplaires, a été notamment bannie de nombreuses écoles américaines. On ne peut absolument pas comparer, comme cela a été fait, Philip Pullman à Tolkien, qui était un auteur profondément chrétien. On ne peut nier ici le fait que le thème majeur du récit, ponctué de moult aventures et batailles, assez complexes d’ailleurs, est religieux. L’auteur du livre a grandi dans un environnement « religieux », son enfance a été bercée par les récits bibliques que lui faisait son grand-père, pasteur anglican. La philosophie du livre est la suivante : Dieu, « l’Autorité », n’a jamais été le créateur. C’est un menteur. Il maintient son pouvoir sur l’homme par l’intermédiaire du « Magisterium », « l’Eglise », qui impose sa puissance en opprimant l’humanité. Dieu est un tyran sans pitié, le monde de l’au-delà est décrit comme un véritable camp où sont parqués les fantômes subissant des horreurs, un monde de tortures créé par Dieu lui-même. On peut ainsi présenter « La croisée des Mondes » comme l’antithèse du « Monde de Narnia », puisque toutes les valeurs sont inversées. Dans le monde complexe de Lyra, héroïne de la trilogie, l’âme de chaque être humain est visible à l’extérieur de son corps. On l’appelle « daemon». Bien que distincts (chaque personnage est accompagné d’un animal qui ne le quitte pas : le fameux daemon, qui peut se métamorphoser et est doué d’une conscience propre), ils sont en fait une seule et même personne. Les deux entités ne peuvent vivre éloignées l’une de l’autre et partagent les mêmes sentiments. La mort de l’un entraîne la mort de l’autre.

Lyra au début de l’histoire est orpheline, ses parents sont morts dans un accident. Mais elle apprend plus tard qu’ils vivent encore. Quand sa mère, belle, passionnée, érudite, tombe amoureuse de Lord Asriel, elle est en fait déjà mariée à un homme puissant. Lorsqu’elle est enceinte de Lyra, elle n’ose pas l’avouer à son mari… et fait croire que sa fille est morte. Lorsque Lyra apprend l’existence de sa mère, celle-ci est assoiffée de pouvoir et va devenir son pire ennemi. Quant à son père, Lord Asriel, qu’elle croyait être son oncle, il a défié et tué le mari de la belle Mme Coutler… Bref, tout cela est tout de même assez complexe pour des enfants (Voir dans l’Intégrale « A la croisée des mondes » Gallimard, p. 108/109). Lyra, accompagnée de son dæmon Pantalaimon, va apprendre l’existence de la Poussière, une étrange particule élémentaire que « l’Église » pense être la preuve du péché originel. « L’Église » a en effet observé que cette Poussière est moins attirée par l’innocence des enfants que par l’expérience des adultes, ce qui donne lieu à d’horribles expériences (« l’Église », donc, sépare l’enfant de son âme, son daemon, ce qui lui cause une indicible souffrance…) menées par des scientifiques contrôlés par « l’Église » sur des enfants kidnappés dans toute l’Angleterre et envoyés dans les royaumes glacés du Grand Nord. Lyra, sorte de nouvelle « Eve », comme le dit l’auteur (« Nous devons beaucoup à Eve : elle a libéré le genre humain en acceptant le Savoir. Le jardin d’Eden dont elle est chassée ressemble plus à une prison qu’au Paradis : inutile de se demander pourquoi l’Église ne lui a jamais pardonné ! » ) est amenée à sauver ces enfants enlevés par le « Magisterium » (les « Enfourneurs ») qui les garde prisonniers. Munie d’une étrange boussole divinatoire – le « golden compass » du titre anglais – ou l’Aléthiomètre (de aletheia qui veut dire « vérité » en grec, dans les mains de certaines personnes « élues », comme Lyra, elle donne les réponses à toutes les questions posées), elle est aidée dans sa quête de l’Ours en Armure, de John Faa et Farder Coram, les chefs des Gitans, et de la sorcière Serafina. L’héroïne donc, personnage sympathique du livre, se jure de sauver le monde et de détruire Dieu et son Eglise, qui oppriment l’humanité. Telle est sa quête. Et Pullman de dire : « (…)J’accorde toute ma sympathie à la Tentation. Je suis convaincu que la Chute est bénéfique et positive. Si elle n’avait pas eu lieu nous serions encore de pauvres jouets entre les mains du Créateur. » Telle est la problématique de la trilogie de Philip Pullman. De très nombreux passages dans ses ouvrages relayent cette pensée (voir par exemple le discours de Balthamos, p. 625 : « Les premiers anges sont nés d’un condensé de poussière, et l’Autorité – Dieu – fut le premier de tous. A ceux qui sont venus ensuite, il a dit qu’il les avait créés, mais c’était un mensonge… » dans l’Intégrale de Gallimard, ou celui du Roi africain p. 770/771 : « Il y a peut-être eu un créateur, peut-être pas ; on n’en sait rien. Tout ce qu’on sait, c’est qu’à un moment donné, l’Autorité a pris le pouvoir, et depuis cette époque, les anges se rebellent et les êtres humains luttent contre l’Autorité »…), de quoi troubler et déstabiliser profondément les enfants et les jeunes en quête de repères. Ruta Skadi, un personnage mineur, appelant à la guerre contre l’Autorité et contre le Magisterium, dit que « Pendant toute l’histoire [de l’Église], celle-ci a essayé de supprimer et contrôler les penchants naturels de l’humain. Et quand elle ne peut pas les contrôler, elle s’en débarrasse » . Dans un autre passage, Mary Malone, l’un des personnages principaux, une ancienne nonne qui a perdu la foi, affirme que « La religion chrétienne n’est rien de plus qu’une très puissante et très convaincante erreur ». Il semblerait que de ce point de vue, le film soit plus « soft ». Mais le message sera le même. Pour conclure, on peut dire que cette histoire est complexe, tant sur le plan du déroulement des aventures de Lyra que sur celui des relations entre les personnages (par exemple entre Lyra et sa mère). De nombreux passages des livres peuvent heurter la sensibilité d’enfants jeunes, notamment les agissements de « l’Église » vis à vis des enfants kidnappés.

Enfin, le message « religieux » que l’auteur cherche à faire passer risque de troubler les jeunes qui seront perdus dans cet amalgame de mensonge, de recherche de puissance, de volonté de nuire et de faire le mal : tout cela étant recherché par « l’Église » elle-même, qui n’est non pas guidée par le message laissé par le Christ, message d’amour et de don de soi, mais par celui du mal.

Aude de la Motte.

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